Début mars, alors que la crise du covid-19 commençait tout juste en France, je suis parti rencontrer des producteurs d’épices sur l’archipel de Zanzibar, en Tanzanie.
On m’avait prévenu, la chaleur du mois de mars dans l’archipel de Zanzibar sera écrasante… En sortant de l’avion, la température semble tout à fait raisonnable. Il est 4h du matin et l’air est doux : 25°. Je flâne quelques heures dans le petit aéroport de Zanzibar avant de pouvoir repartir pour l’île de Pemba, à 50 km vers le nord. À 7h, la température frôle déjà les 32°, l’humidité sature l’air et le temps semble de plus en plus long…
11h. Je monte à bord d’un petit coucou de 12 places : décollage pour Pemba! Depuis les airs je découvre les contours de l’île, encerclée par de petits îlots et un riche récif corallien. À peine sorti du minuscule aéroport de Pemba, je saute à l’arrière d’un taxi-scooter qui me conduit aux plantations d’épices.
En arabe, Pemba se nomme al-Jazira al-khadra, l’île verte. Elle doit son nom à sa couverture forestière dense et variée, partagée entre plantations d’épices et forêts tropicales. Bien que la culture principale soit le clou de girofle, avec une production annuelle d’environ 7000 tonnes, l’île abrite bien d’autres épices.
Je commence ma visite par la ferme de Monsieur Bakari, située près de la ville de Wete. Ce territoire, aux allures de jungle, abrite des milliers de canneliers et quelques centaines de vanilliers et girofliers. Bakari est un des membres fondateurs de la coopérative de producteurs d’épices biologiques de l’archipel de Zanzibar. Patient et consciencieux, il veille sur sa ferme et s’assure que les paysans nouvellement formés acquièrent de bonnes pratiques agricoles.
Je suis tombé en amour, comme disent les Québécois, pour la cannelle de Bakari. Une cannelle dite de Ceylan (cinnamomum verum), sucrée et piquante, avec des notes de sapin et d’agrumes. Quelle chance d’arriver un jour de récolte et de pouvoir goûter cette écorce fraîchement coupée !
Je passe l’après-midi avec Bakari qui me fait rencontrer ses voisins, eux-mêmes fermiers. Je découvre alors une autre spécialité de l’île – une variété de piment œil d’oiseau aux parfums de cerise légèrement acidulée et de mélasse, accompagnés de notes minérales.
Le lendemain, je me rends à la ferme de Monsieur Mohammed, un des principaux producteurs d’épices de la coopérative de Pemba. Sa production de clous de girofle est si importante, qu’elle remplit à elle seule un grand dhow, ce voilier typique de Zanzibar. Visiter l’intégralité de sa ferme, c’est s’aventurer dans une très longue marche, dense et constamment parfumée… Mohammed ne cède devant aucune difficulté. Il continue de cultiver ses épices en polyculture, tout en laissant la nature décider de l’emplacement de chaque arbre… Sa terre est si riche que les arbres poussent dans tous les sens ! Chaque pas demande de la prudence pour ne pas écraser une cépée de cannelier, une plantule de giroflier ou encore une liane baladeuse de vanillier.
L’après-midi, je suis l’hôte de Monsieur Omar. Il émane de sa fabuleuse vanille des notes de chocolat et de café dont la profondeur aromatique emplit sens et âme. Ici, vanilliers et poivriers s’enroulent jusqu’en haut des canneliers, dans une harmonie qui m’invite à la création d’un nouveau mélange d’épices.
Mon dernier jour à Pemba est une secousse : Je découvre la forêt primaire. Une expérience unique pour entrevoir la réalité d’un monde sans nous, les humains. Dans cette jungle je découvre le bungo, un fruit très acidulé qui pousse à l’état sauvage et dont les délicates fleurs blanches irradient le jasmin et l’ylang ylang. On obtient en le pressant un jus très rafraîchissant.
De retour à Zanzibar, je m’installe à Stone town, la vieille ville près de la mer, et passe mon temps entre les entrepôts et les ateliers de la coopérative, étudie de près le séchoir solaire, la table de tri et le plan de l’installation du futur moulin. Pour produire une épice d’exception, il est primordial de maîtriser toutes les étapes de la production. Cette coopérative est un exemple en la matière et je m’incline avec humilité devant leur remarquable savoir-faire.
Lundi 16 mars. Une date qui restera dans les mémoires, puisque c’est le jour de l’allocution du président sur le covid-19. Il nous invite au confinement dès le lendemain. J’avais prévu de poursuivre mon voyage en Éthiopie, mais ce soir-là, je cherche frénétiquement une place libre dans un vol vers Paris. Les frontières allaient fermer en Afrique, les vols pour la France allaient être annulés, un premier cas venait d’être découvert en Tanzanie et la population commençait à soupçonner tous les touristes… J’embarque pour un vol de nuit avec une ambiance de fin du monde. Je rentre sain et sauf et d’attaque pour faire face à toutes les difficultés qui s’abattent sur notre petite entreprise.
Avec l’équipe, on discute beaucoup, on décide ensemble de la suite, on s’ajuste, on s’organise. Et nous sommes au rendez-vous pour vous fournir des épices extraordinaires !