L’arunachal Pradesh est un des états les plus isolés et fermés de l’Inde. Avec plus de 1000 km de frontière avec la Chine, c’est une zone tendue et qui peut paraître explosive. Les tensions sont le plus souvent issues de l’interprétation de la carte frontalière, la ligne McMahon créée par les britanniques en 1914. Dessiner une frontière dans une zone montagneuse et irrégulière comme l’Himalaya peut paraître compliqué, d’autant plus que les points de références (glacières, rivières…) bougent régulièrement. Le résultat est une des régions les plus militarisées en Inde, où l’armée est présente absolument partout et les checkpoints sont omniprésents.
Pour pouvoir y accéder en tant que touriste, il vous faut un document qui porte le nom de PAP (Protected Area Permit). La raison officielle est de protéger la population locale, qui est composée de plusieurs tribus plus ou moins isolées, mais la raison officieuse est la peur des espions (chinois ou autre). Une fois le permis en poche, j’ai enfin pu m’y rendre. Un nouvel ami de Nagaland m’a mis en contact avec une employée du gouvernement local, en charge de valoriser les producteurs d’épices de la région.
Au bout de 10 heures de route, je suis enfin arrivé à Thinsa, un village de 700 habitants, rempli de constructions traditionnelles en bambou et en palmes. Le village abrite une coopérative autonome de producteurs d’épices, et je suis hébergé chez son président. En nous baladant dans le village, je découvre qu’une maladie récente a décimé une grande partie de leurs plantations de cardamome noire. Il me propose d’aller visiter une pépinière installée récemment, abritant la prochaine génération de plantes de cardamome. Nous nous arrêtons au milieu de la jungle, descendons du véhicule et commençons à marcher au milieu des arbres. Au bout de 200m, une toute petite pépinière avec quelques centaines de plantules, un peu assoiffées par la saison sèche, mais somme toute en bonne santé. 5 ou 6 pépinières similaires ont été implantées dans la région, et la coopérative prévoit de les multiplier dans les années à venir.
Ensuite, nous montons au sommet de la « colline » (1600m d’altitude) pour rencontrer un des producteurs de la coopérative. Ce jeune homme m’explique que jusqu’à il y a quelques années, cette colline et les collines voisines ont été destinées à la culture de pavot à opium. Une action récente du gouvernement avec le soutien des coopératives locaux a permis à cette culture d’être remplacée par celle de la cardamome noire – plus rentable et moins risquée. Quelques collines plus loin, nous sommes déjà en Birmanie, 2ème producteur mondial d’opium après l’Afghanistan…
Les paysans locaux sont ravis d’avoir enfin une source de revenus légale et sûre (grâce aux subventions du gouvernement), mais doivent faire face à des marchands malhonnêtes qui viennent de grandes villes indiennes. Leur isolement et manque d’éducation résulte souvent en des incroyables arnaques… Il y a deux ans, un grossiste leur a commandé plusieurs tonnes de gingembre (la variété locale est réputée pour ces qualités médicinales), et leur avait promis d’acheter leur production à 200 roupies (2,25€) le kg. Une fois la récolte terminée, le grossiste leur disait que le marché a chuté, et qu’il ne peut leur proposer que 20 roupies (22 centimes) le kg. Il leur a également demandé de payer de leur poche le transport jusqu’à Delhi. Les producteurs se retrouvaient alors avec 10-12 roupies le kg dans leur poche. Ce même gingembre se vendaient à Delhi pour environ 600 roupies le kg.
Idem pour la cardamome noire – achetée souvent à 40-60 roupies le kg, elle est vendue à Delhi pour 1200-2000 roupies.
Nous avons proposé aux membres de la coopérative de les soutenir dans l’amélioration de la qualité de leur cardamome afin de pouvoir la leur acheter au prix fort, et afin qu’ils puissent également mieux négocier avec les grossistes locaux.