Nous voilà dans le Lot-et-Garonne pour découvrir le travail remarquable d’un paysan engagé.
Généralement, c’est notre travail de dénicher des personnes engagées produisant des merveilles. Mais avec Philippe, c’est le contraire qui s’est produit. Il y a quelques mois de ça, il nous contacte pour nous proposer sa moutarde noire et son mélilot. Nous tendons l’oreille, discutons longuement et décidons de passer le voir au cours de l’été.
Mi-août est là. Nous débarquons sous un soleil faiblichon qui ne tient pas ses promesses d’été, passons devant un hangar rempli d’outils, de machines agricoles, torréfacteurs et moulins puis nous arrêtons devant une belle bâtisse. C’est dans cette ferme que Philippe vit et travaille, entouré de sa femme, 2 de ses enfants, ses chats et 2 chiens dont un est si gentil avec les inconnus qu’il serait difficile de le qualifier de chien de garde… tout au plus surveille-t-il les poules qui picorent dans la cour ?
Ce paysan à la barbe blanche s’est installé à l’écart du village en 192 et a toujours cultivé ses terres en bio. Engagé dans le militantisme paysan, il a été membre fondateur du Réseau Semences Paysannes responsable à l’échelle nationale du comité bio de la Confédération Paysanne et trésorier de l’ITAB (Institut technique de l’Agriculture Bio). Mais son implication est révolue depuis que ses engagements ont été bafoués par un ministre de l’Agriculture.
Il ne renie pas cette période, mais son militantisme trouve forme à présent dans sa manière de travailler. Toutes les productions de la ferme sont valorisées et transformées sur place pour être commercialisées en direct et circuit très court.
Ses clients sont des cuisiniers, des pâtissiers et boulangers qui adorent innover. Ils veulent des lentilles mais torréfiées, ils veulent savoir quelles sont les différentes méthodes de séchage pour valoriser au mieux la coumarine du mélilot… Et Philippe adore expérimenter !
Pour l’aider aux champs, il s’est doté d’un nouvel allié. Ses parcelles étant éparpillées, un petit drone lui permet de surveiller l’évolution des cultures sans avoir à prendre la voiture pour parcourir les 55 hectares de terre. Cela lui permet aussi de savoir si les animaux de la forêt ne viennent pas abîmer ses cultures. Une fois informé, il peut plus facilement les enjoindre à regagner la forêt.
Dans ses champs, on trouve une variété de moutarde sauvage qui pousse spontanément au milieu des autres cultures. Le climat du Lot-et-Garonne et son sol argilo-calcaire sont propices à l’expansion de cette variété. On appelle ça un adventice, plante que l’agriculture conventionnelle considère comme mauvaise et envahissante mais en réalité formidablement utile car elle permet de piéger les nitrates (azote) présents dans le sol.
Au moment où l’on arrive chez lui, la moutarde vient d’être ramassée et l’étape du tri et du nettoyage commence juste.
Philippe sème aussi du mélilot mais cette année, le mauvais temps a fait dérailler le cycle habituel de la nature. Freiné dans son évolution par le froid qui s’est installé au début de l’été, le mélilot a cru qu’on était à la fin de l’hiver et le fruit n’a pas remplacé la fleur. Impossible dans ces conditions de moissonner. Il n’y a donc pas de fleurs de mélilot blanc cette année et l’on mesure avec tristesse l’impact du dérèglement climatique.
Le travail de ce paysan hors norme est aujourd’hui reconnu par les chefs, notamment ceux qui mettent à l’honneur les produits d’excellence. Ils se suivent sur les réseaux sociaux, échangent, se rencontrent. Lui qui se démène comme un diable (comme un saint !) pour faire fonctionner sa ferme trouve aussi plaisir à nous parler des chefs très tendance du moment, des nouveaux projets en cours dans le monde culinaire, des palaces comme des petits lieux centrés sur le produit comme on dit et friands d’une qualité et d’un savoir-faire qu’il est un des rares à proposer.
N’y a-t-il pas meilleure reconnaissance que de pouvoir vendre ses céréales, légumineuses et herbes à leur juste valeur et de les voir sublimées dans de bien belles assiettes ?